Crise agricole : l’Europe, consciente de sa gravité, pointe la responsabilité de la France dans sa résolution

Ce mardi 23 février, j’étais en compagnie d’Isabelle le Callennec et Marc le Fur à Bruxelles afin de trouver des moyens d’atténuer les tensions agricoles qui ébranlent l’Europe et en particulier la France. Faisant suite à de multiples travaux à l’Assemblée ainsi qu’en interne avec le groupe parlementaire dont je suis membre, cette journée avait pour but de mieux cerner les enjeux et les solutions envisageables au niveau Européen.

La journée a été riche et bien cadencée, avec de multiples rendez-vous et rencontres et notamment :
  • M. Pesonen, Secrétaire Général de la COPA-COGECA,
  • Michel Dantin, Alain Cadec et Angélique Delahaye,
  • Mme Rueda Catry, Membre du Cabinet, et Mme Siracusa, Chef de Cabinet adjoint du Commissaire Phil Hogan,
  • Silvia Däberitz, Directrice de l’European Milk Board,
  • J. KORTE (Directeur Général Adjoint en charge des marchés – DG AGRI Commission Européenne).
Les responsables politiques des différents états membres se sont déjà vus à plusieurs reprises et doivent se retrouver prochainement pour continuer de travailler sur les décisions à prendre, mais plusieurs constats s’imposent déjà :
  • l’ensemble des responsables rencontrés sont aujourd’hui conscients de la gravité de la crise agricole qui frappe l’Europe et plus singulièrement la France,
  • les réponses apportées jusqu’à présent n’ont pas permis d’apaiser les inquiétudes et les tensions et ne pourront pas remédier aux causes de la crise sans mesure nouvelle,
  • un relatif sentiment d’impuissance se fait sentir dans les différentes institutions européennes face à l’ampleur, la profondeur et la durée de la crise.
De l’observation des données macro-économiques (cycle de la production, de la consommation, et de la répartition des revenus,…), on peut tirer les enseignements suivants :
  • les cours sont historiquement bas, toutes productions confondues, et sont probablement à mettre en rapport avec la baisse des cours des autres matières premières  (pétrole mais aussi d’autres ressources) ; le seul ‘point positif’ est que les cours des intrants sont inférieurs à leur niveau habituel.
  • la demande mondiale est en baisse, notamment dans les pays émergents où pour la première fois le taux de croissance est en berne (Chine),
  • sur la production laitière, la mise en oeuvre du paquet lait et la fin des quotas a engendré une augmentation de la production, une désorganisation du marché et la chute des cours,
  • la croissance de la production européenne, tous produits confondus, est de 2% environ. La croissance de la consommation européenne et mondiale est de 3 % environ et la chute des prix est de 30 %.

Des facteurs politiques et géopolitiques :

La réalité de la crise en Europe revêt des différences d’un pays à l’autre et même d’une région à l’autre (cf ci-dessous sur la France). En effet, pour le moment, aucun consensus en Europe sur les mesures à prendre et notamment sur la question d’une forme de régulation de la production n’a été trouvé.
De plus, les premières discussions entamées auparavant au sein de l’UE n’ont pas débouché puisque les ministres des états membres sont maintenant appelés à fournir leurs analyses et les solutions qu’ils envisageraient afin que la Commission Européenne puisse trancher courant mars 2016.
A cela, s’ajoutent des problèmes internationaux qui dépassent le périmètre de compétence de la Commission Européenne, du Parlement et même du Conseil. En premier lieux, l’embargo Russe qui est à la fois politique et sanitaire ne peut être levé que par la résolution de la crise ukrainienne. Cette difficulté s’avère actuellement très complexe à lever dans la mesure où le ministre de l’agriculture russe est black-listé à Bruxelles et ne participe donc pas aux discussions.
Enfin, des marchés nouveaux au niveau mondial sont potentiellement atteignables et il est nécessaire de se positionner rapidement. Ils ne produiront cependant d’eventuels effets positifs que sur le moyen et long terme.
Les mesures déjà prises et leurs effets :
  • plan d’aide de 420 millions d’euros dont 63 millions pour la France, essentiellement consommés sur des avances d’aides directes (ce plan à souffert de lourdeurs administratives)
  • mesures de stockage publiques et privées qui ont permis d’atténuer partiellement la fin des quotas laitiers mais n’ont pas suffi à redresser les cours,
  • des relations ont été établies avec des marchés nouveaux comme le Mexique et la Colombie, plus particulièrement dans le secteur de la viande porcine, des produits laitiers, fortement touchés par cette crise, les spiritueux et les produits biologiques. D’autres échanges auront lieux fin février avec la Chine et le Japon, ainsi qu’au Vietnam et en Indonésie plus tard dans l’année,
  • conjonction avec des mesures d’aide alimentaire d’urgence ayant recours aux stocks importants. C’est le cas, par exemple du porc, qui actuellement plombe les cours du marché de la viande et qui est redistribué dans le cadre de ces aides pour des zones très sinistrées dans les pays en voie de développement ou en forte crise afin d’assécher le sur-stock.
Les mesures non prises :
  • augmentation des prix d’intervention (il s’agit du prix minimum auquel l’UE s’engage à racheter le lait aux producteurs qui ne trouvent plus de débouchés), mais des voix s’élèvent contre, considérant qu’une hausse n’encourage pas à la baisse de la production alors que la crise du lait est essentiellement une crise de surproduction.
  • plans de stockage au niveau européen alors qu’une aide au stockage privé de la viande porcine a été ouverte pour trois semaines, début janvier, mais dont la France n’a pas fait grand usage, souligne-t-on à Bruxelles (2 400 tonnes seulement ont été stockées entre le 4 et le 20 janvier).
  • retour en arrière sur les quotas (impossible juridiquement et politiquement)
  • Les autres questions – fondamentales – que posent nos agriculteurs et que nous, élus, relayons (étiquetage des produits, réduction du nombre de normes…) sont clairement de compétence nationale et les institutions européennes pointent l’immobilisme coupable de la France en la matière.
Le cas particulier du lait :

Bien que son prix soit actuellement très bas, la demande est stable, et devrait continuer à le rester grâce à la demande mondiale. Les exportations hors UE n’ont jamais été aussi élevées. Aussi, Il est a noter qu’en France plus de 50 organisations de producteurs laitiers sont reconnues, ce qui est énorme et complexifie les discussions au niveau européen.

La France :
  • constat unanime : alors que dans la plupart des états membres la crise est conjoncturelle, sa violence en France témoigne du fait qu’elle y est aussi structurelle.
  • liée aux autres difficultés de notre pays : poids de charges sociales, coûts de production plus élevés qu’ailleurs, manque de compétitivité,
  • problème français de la structuration du monde de la distribution et aussi des règles appliquées à la concurrence commerciale, en particulier en matière de publicité comparative,
  • restructuration actuelle de la population agricole et du domaine de l’agro-alimentaire dans son ensemble

Les actions envisageables à court terme :

* Europe
  • nouveau plan de stockage ?
  • application de l’article 222 du code du commerce européen au terme duquel les organisations de producteurs peuvent créer un cartel sur un plafond de 30 pour cent du marché national pour un produit,
  • mise en place éventuelle de dispositifs de régulation ad hoc en période de crise ?
* en France :
  • abaissement indispensable des charges et de la fiscalité,
  • allègement des contraintes réglementaires au niveau européen,
  • adaptation du modèle juridique.

Conclusion :

Négatif
– la situation est très tendue,
– la marge de manœuvre à court terme pour des mesures européennes est très faible,
– l’implication française dans la définition de la politique européenne est insuffisante,
– la situation française est plus préoccupante que dans les autres pays membres : là où la part médiane des aides publiques (PAC) dans le revenu agricole en Europe est de 42 %, elle avoisine les 60 % en France.
– le choc de simplification administrative n’a pas lieu en France et notamment sur la cartographie de la PAC actuelle,
– la sur-transposition évidente sur les aspects normatifs et réglementaires  (ICHN, ICPE…)
 Positif :
– il y a une possibilité de regain de consommation mondiale,
– la France est reconnue comme une grande puissance agricole,
– les problèmes sont bien identifiés à présent,
– il y a une volonté forte dans notre famille politique de trouver des solutions pour résoudre ces problèmes.

Des suites à donner :

Cette visite au Parlement Européen a conforté l’analyse que j’ai pu faire plus localement, notamment aux côtés des agriculteurs de la 3° circonscription de l’Aveyron.
Avec mon groupe, nous devons encore conduire des réunions avec les responsables agricoles locaux ainsi qu’auditionner certains responsables nationaux.
Tout ceci permettra l’achèvement de la rédaction d’un Projet de Proposition de Loi sur l’Agriculture. Vous serez tenus informés sur le présent site.

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